Chaînes de spin & liquides de spin
 
 
 
 

Pourquoi étudier les chaînes de spin ?

Le problèmes des supraconducteurs à haute Tc est tellement complexe que l’on peut avoir envie de se ramener à un cas plus simple, un cas d’école où l’on pourra faire ses gammes. Les chaînes et échelles de spin sont précisément ce « jouet » modèle qu’il nous faut. Ce sont des supraconducteurs qu’on aurait coupés en lanières et dont on aurait enlevé toute capacité à conduire le courant

Il s’agit de chaînes infinie d’atomes là encore corrélés entre eux mais dont les électrons refusent de sauter d’un site à l’autre (des nickels ou des cuivres par exemple). Dans la pratique, on synthétise des matériaux constitués d’un grand nombre de ces chaînes, suffisamment loin les unes des autres pour ne pas s’influencer. Cependant, pour ne pas tout peindre en rose, il faut avouer que ces systèmes sont également complexes et mystérieux en soi : le fait qu’ils soient à une dimension engendre des effets à nouveau complètement inattendus. Par exemple, parce qu’ils sont isolants, on imagine que leurs spins veuillent s’organiser entre eux. Et pourtant, jusqu’à très basse température, ces spins refusent de s’ordonner et continuent de s’agiter comme un véritable liquide. Donc en comprenant mieux cet état de « liquide de spin » et l’effet des corrélations, on peut espérer mieux comprendre les supraconducteurs ensuite.

Pourquoi étudier l’effet d’ impuretés non magnétiques dans ces systèmes ?

Une impureté, c’est un atome étranger placé à la place d’un atome du matériau étudié, par exemple un atome Cuivre dans un supraconducteur remplacé par un atome Zinc. On peut introduire ces impuretés au moment où on synthétise le matériau, en changeant un peu la recette de départ. Dans notre cas, on essaye de mettre suffisamment peu d’impuretés dans le matériau pour que ces atomes étrangers soient très loin les uns des autres. Une impureté non magnétique, c’est donc un atome étranger qui n’a pas d’électron seul portant un spin dans son orbite. On peut choisir une impureté telle qu’elle soit interdite d’accès pour les électrons du solide. Si de plus, elle est non magnétique, alors l’impureté peut être considéré comme une sorte de site inaccessible et sans influence sur son environnement. Mais alors, à quoi ça sert ? A priori, à rien dans les systèmes non corrélés. Par exemple, du zinc substitué dans du cuivre métallique n’a à peu près aucun effet. Par contre, si il y a des corrélations, l’électron au voisinage de l’impureté n’est plus influencé comme il l’aurait été si il y avait eu un autre électron. Il va alors réagir et vouloir compenser ce manque. C’est précisément cette réaction dans le voisinage de l’impureté que nous voulons mesurer dans ce mémoire. Car c’est cette réaction qui permettra de mettre en évidence l’existence des corrélations : plus l’électron voisin de l’impureté réagit fort, plus les corrélations sont fortes.

Comment mesurer la réaction des électrons près de l’impureté ?

Il faut utiliser une méthode d’observation qui permettent de distinguer les électrons proches de ceux loin de l’impureté, une méthode qui de plus, soit sensible à leur spin. L’idéal, ce serait un microscope très puissant qui permettent de distinguer deux électrons voisins et de mesurer leurs spins. Problème pratique : ces électrons sont à des distances de l’ordre du milliardième de mètre les uns des autres. Un tel microscope n’est pas encore disponible, même si on peut espérer qu’il le soit un jour prochain. Nous utiliserons dans ce mémoire une autre technique, finalement assez équivalente : la résonance magnétique nucléaire (RMN). Basée sur le même principe que l’imagerie médicale IRM, la RMN permet de distinguer la réponse du spin des différents électrons en fonction de leur distance à l’impureté, presque un par un. Pour cela, il suffit de faire tourner ces spins sur eux-mêmes, comme des toupies, grâce à des dispositifs adaptés, puis de mesurer très précisément à quelle vitesse ils tournent. Plus ils tournent vite, plus leur spin est grand. Si différents électrons ont des spins différents, selon qu’ils soient près ou loin de l’impureté, on mesurera des vitesses différentes, et le tour est joué. Cet effet est illustré sur la figure.

Et qu’avons nous trouvé finalement ?

Quand on introduit une impureté non magnétique, comme prévu, les électrons près de l’impureté réagissent fortement, et leur spin s’agrandit, comme le montre la figure XX. Ensuite, contrairement à l’intuition, le spin de l’électron suivant diminue, et ainsi de suite. En fait, quand on y réfléchit, c’est bien ce à quoi on s’attendait : les spins aiment être opposés dans ces systèmes, mais s’y refusent à cause de leur caractère unidimensionnel. Ce qu’ils font plutôt, c’est se mettre anti-alignés par petits groupes, pendant un temps bref, puis se re-désordonner. On n’y voit donc pas grand chose. En introduisant une impureté non magnétique, on révèle en quelque sorte leur penchant naturel : on voit se figer ces petits groupes d’électrons. Quand on mesure la taille du groupe et sa force de cohésion, on retrouve même exactement ce qu’on aurait prévu sans impuretés si on avait été capable de prendre une photo assez rapide. Donc, dans les chaînes de spin, l’impureté agit comme révélateur des corrélations, de leur force, et de leur extension, en les figeant. Quand on introduit une impureté magnétique (Cu), on observe un effet très semblable, ce qui montre que le Cu se couple assez peu à ses voisins.