Qu’est-ce qu’un système
fortement corrélé ?
La matière solide est constituée d’atomes organisés
régulièrement. Imaginons que chaque atome soit un gros noyau inerte et massif
entouré d’un électron mobile et léger, qui de plus porte un spin, c’est
à dire un petit aimant. On représentera cet aimant par une flèche qui indique
la direction de son pôle Nord. Dans un champ magnétique, la flèche du spin
s’alignera au champ, comme la boussole.
Pour l’instant, supposons que l’électron est retenu par
son atome, un peu comme la Lune autour de la Terre. Prenons quelques-uns uns
de ces atomes, mettons les à côté les uns des autres, suffisamment proches
pour que les orbites des électrons se recouvrent. Que font les
électrons ? S’ils restent attachés à leurs atomes respectifs, le matériau
est un isolant électrique : c’est à dire que lorsqu’on essaye d’y faire
circuler ces électrons, il résistent fortement. Si au contraire, les
électrons acceptent de sauter d’un atome à l’autre, l’ensemble des électrons
forme une sorte de soupe très malléable, avec des vagues, une surface, etc.…
Cette soupe transportera le courant électrique sans problème. C’est un métal.
Qu’est-ce qui fait qu’un électron veut ou non sauter sur
d’un atome à l’autre ? A priori, c’est simplement la forme et la taille
de son orbite, par rapport aux caractéristiques du solide dans lequel il est
placé. Par exemple, si on place un électron par atome, qu’il a une orbite
circulaire assez étendue, on obtiendra un métal (du Lithium, du Sodium, du
cuivre...). Cependant, certaines orbites ont des formes particulières, se
recouvrent moins bien entre elles et de façon plus directionnelle : par
exemple les orbites d en forme de trèfle à quatre feuilles. Dans ce cas
particulier, un électron a plus de mal à sauter sur les atomes voisins. Tous
les électrons ne forment plus aussi facilement une soupe métallique. Surtout,
l’électron refusera de sauter sur l’atome voisin s’il y a déjà un autre
électron présent (voir figure 1). C’est juste dû au fait que deux électrons
se repoussen t électriquement, et qu’il est donc difficile de les coincer sur
une même orbite autour d’un atome. Donc, un électron sur un atome est
indirectement influencé par les électrons sur les atomes voisins, puisque
leur présence éventuelle va ralentir, voir stopper sa progression. On dit que
les électrons sont corrélés.
Et
le spin dans tout ça ? En général, deux spins aiment bien s’aligner,
exactement comme deux aimants aiment se coller. Donc, naïvement, on s’attendrait
à ce que, métal ou pas, corrélations ou pas, tous les spins s’ordonnent dans
une même direction. Mais c’est un effet extrêmement faible et qui ne joue pas
de rôle dans les solides. Par contre, les spins sont gouvernés par une règle
bien plus contraignante : le principe de Pauli. Ce principe veut que si
deux électrons se trouvent au même endroit au même moment, ils doivent avoir
des spins opposés. Dans un métal par exemple, pour arriver à caser tous
les électrons dans la même soupe évoquée plus haut, il faut les y mettre deux
par deux avec des spins opposés. Donc à la fin, tous les spins s’annulent
entre eux et le métal est finalement une soupe sans spin total. Dans le cas
des électrons corrélés, ce principe a une conséquence drastique : les
spins vont s’organiser ! En effet, on l’a dit, s’il y a corrélations, un
électron préfère ne pas sauter sur un site déjà occupé par un autre électron.
Pour lui éviter cette situation inconfortable, la nature, économe, pousse les
deux électrons à avoir des spins alignés (voir fig.2). Dans ce cas, grâce au
principe de Pauli, il devient impossible aux électrons d’être sur le même
site, et on évite de devoir payer le coût énergétique correspondant. Donc
pour résumer, s’il y a des corrélations, par exemple grâce à la forme des
orbitales d, alors grâce à Pauli, les spins des électrons vont aussi être
indirectement influencés les uns par les autres. Dans la réalité, il peut y
avoir des petites complications, par exemple si on ajoute un oxygène entre
les deux atomes. Dans ce cas, les électrons auront plutôt intérêt à avoir les
spins opposés et non alignés, parce qu’ils doivent d’abord passer par l’oxygène avant d’aller sur l’autre
atome. Mais le principe physique reste le même. In fine, si les spins
s’alignent tous entre eux, le système présente un ordre parfait à grande
distance, il devient magnétique dans son ensemble, et c’est alors… un aimant.
En résumé donc : pour
obtenir un système corrélé, il faut des atomes mis les uns à côté des autres,
chacun portant un électron sur une orbite plutôt de type trèfle à quatre
feuilles. Dans ce cas, les électrons sont peu enclins à sauter d’un atome à
un autre, et leurs spins aiment bien soit s’aligner, soit s’opposer.
Pourquoi étudier les systèmes corrélés ?
Pour trois bonnes raisons :
·
d’abord parce qu’ils
représentent une grande partie des matériaux naturels ou artificiels sur
Terre. En effet, on compte parmi les atomes à orbite d (le trèfle) des ions
Nickel, Fer, Zinc, Crome, Cobalt, etc. Les oxydes composés avec ces métaux
ont donc de bonnes chances d’être corrélés.
·
ensuite parce que nombre de
ces matériaux présentent des propriétés physiques uniques et très utiles, par
exemple le ferro ou l’antiferromagnétisme, la supraconductivité à haute
température critique, la magnétorésistance géante.
·
enfin et surtout parce que
l’effet des corrélations engendre de nouveaux états de la matière fascinants,
très éloignés des métaux ou des isolants standards, où même la notion
d’électron isolé n’a peut-être plus de sens. C’est le lien entre ces
corrélations et ces nouveaux états que nous aimerions mieux comprendre.
|